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Questions à Sylvie Barc

Sylvie Barc réside depuis peu dans le Limousin, où elle a fondé La Haute Roche. Elle édite entre autre Shabadabada.

 

Bonjour Sylvie. Peux-tu nous présenter rapidement La Haute Roche ?
Bonjour, bonjour !
Alors, La Haute Roche... D'abord, ce n'est pas une société ayant une existence légale. J'exerce mon métier d¹auteuse de jeu (et d¹auto-éditrice) sous forme de profession libérale. Mais il fallait bien trouver un nom d'éditeur. Les jeux de Sylvie Barc, ça aurait fait un peu pompeux, Aux jeux du coin, ça aurait fait bistrot, Elle-même... hum ! Donc La Haute Roche, c'est le nom de l'endroit où nous vivons, c'est plus simple pour le facteur.
La Haute Roche existe depuis juin 2002, date de la parution de Shabadabada. Elle n'a qu¹une seule activité : éditer quelques-uns de mes jeux. Elle pourrait aussi faire des jeux de commande, mais encore faudrait-il en avoir...
Et La Haute Roche, c'est Dominique (mon mari) et moi. Grosso modo, moi je
fais les jeux et la compta et lui il fait tout le reste : sites, maquette, protos, suivi de fabrication...

Ce n'est pas toujours facile de se lancer comme ça dans l'aventure. Quel a été le déclic ? Et quelle idée de ta future entreprise avais-tu au départ, juste avant de la créer ?
Effectivement, ce n¹est pas évident de se jeter à l'eau. Il m'a fallu vingt ans... Le déclic principal est bassement matériel : il faut manger, payer le crédit, refaire les toitures, élever les enfants et toutes ces sortes de choses. Et un jeu édité par soi-même rapporte heureusement plus que des simples droits d'auteur. Quand on a l'habitude de ne pas avoir de salaire fixe et qu'on ne sait pas ce qu'on a des chances de gagner dans l'année, on a l'habitude de jongler avec la trésorerie, alors ça se tente.
Le deuxième déclic est le plaisir de voir exister un jeu qui, sinon, risquerait fort de rester sur une étagère sous forme de prototype, avec des dizaines de ses pareils. Il y a certains de mes jeux auxquels nous aimons beaucoup jouer et qui nous paraissent pouvoir procurer du plaisir à d'autres. Malheureusement, ils n'ont pas toujours l'heur de plaire à un éditeur. Alors nous essayons nous, à petits pas...
Nous n'avions pas d'idée particulière au départ. Simplement l'espoir de ne pas boire le bouillon et de pouvoir continuer à éditer d'autres jeux.

Et maintenant ?
L'espoir est toujours le même !

Et dans l'avenir, comment vois-tu La Haute Roche ?
Je n'ai malheureusement pas la prescience... J'espère seulement dans un premier temps que les jeux édités par La Haute Roche vont plaire à suffisamment de gens pour que nous puissions acquérir un minimum de sécurité financière. Nous pourrions alors continuer à éditer d'autres jeux, y compris certains qui sont bien trop chers pour nous pour l'instant. J'en ai par exemple un qui me plaît beaucoup mais il nécessite 240 billes, des plateaux, des cartes... Ce n¹est pas encore pour maintenant.

En étant ton propre éditeur, tu peux publier les jeux que tu as imaginé. N'est ce pas un peu risqué. Je veux dire, n'y a-t-il pas un risque d'autosatisfaction qui te pousse à sortir un jeu qui ne plaira pas forcément ?
Ce n'est pas un peu risqué, c'est très risqué ! Mais pas dans le sens où tu l'entends. C'est très risqué parce que nous ne sommes pas de vrais éditeurs qui voient des tas de projets de jeux différents, capables d'appréhender le marché, bénéficiant d'années d'expérience. Eux savent automatiquement que tel titre n'est pas vendeur, tel visuel pas accrocheur, etc. Nous, non. Mais on apprend, on apprend... Et puis, nous sommes tous joueurs dans la famille. Alors nous espèrons que si un jeu nous plaît, il pourra plaire à d'autres. Bien sûr, nous pouvons nous tromper, c'est bien là le problème !
Non, l'autosatisfaction ce n'est pas du tout de s'auto-éditer, mais bien au contraire de voir un éditeur se décider à publier un de ses propres jeux. Et ce n'est pas réellement de l'autosatisfaction, c'est plutôt comme réussir un examen...

Et donc, comment sais-tu quel jeu peut être édité ?
Nous ne le savons pas vraiment mais nous procédons par éliminations. Eliminations assez primaires... D'abord, est-ce que tous le monde s'amuse avec (nous, les copains, les copains des enfants, et même des gens qu'on ne connaît pas...) ? Et est-ce qu'il donne vraiment envie d'y rejouer ? Souvent ? Quand nous avons répondu oui à tout ça, nous passons au problème matériel : n'est-il pas trop cher à fabriquer. Si nous nous disons que c'est faisable... nous hésitons. Nous réfléchissons à un autre, puis un autre encore... Et puis, au bout d'un moment, nous nous décidons en croisant les doigts. Et évidemment, quand c'est en route, nous nous disons que nous avons dû nous tromper !

J'imagine qu'il y a des jeux qui sont finalement restés à l'état de protos, ils sont nombreux ? Tu peux nous en parler un petit peu ?
Bien sûr, des dizaines ! Certains n'étaient pas politiquement corrects (trafic d'armes, critiques sous-jacentes de notre belle société, etc) ; d'autres ne sont plus à la mode ; d'autres ne peuvent plus être édités parce que, depuis leur création, des jeux assez proches sont sortis. Mais ceux qui me chagrinent le plus sont certains jeux pour enfants. Comme celui avec les lutins de Trousse-Chemise qui doivent faire une omelette aux champignons : en passant sous des arches magiques il deviennent grands et peuvent chiper des oeufs dans les arbres, puis quand ils repassent sous une arche ils redeviennent petits et peuvent ramasser des champignons. Ou celui avec des Petits Bonshommes qui se font casser leur maison en chocolat par le soleil, leurs maisons en sucre par la pluie et leurs maisons en gaufrette par la grêle. Ou encore celui avec les petits pantins qui ont perdu leurs formes et leurs couleurs...

Comment deviner quelle quantité produire pour un nouveau jeu ?
Ca, ça n'est pas vraiment difficile. Comme nous n'avons pas les moyens de faire de gros tirages, nous en faisons forcément des petits ! Le problème c'est que chaque jeu revient plus cher... Alors, il faut calculer ce qui est rentable pour nous et rentable pour l'acheteur. Si nous pensons que nous n'achèterions pas, nous, ce jeu là à ce prix là, nous ne l'éditons pas.

Enfin, quand tu lances un nouveau jeu, tu estimes à combien de temps pour qu'il soit rentable ?
L'avantage des petits tirages, c'est qu'ils sont a priori plus vite rentables. A chaque fois, nous espérons que dans les cinq ou six premiers mois de vente, la fabrication sera payée.

Tu peux nous donner quelques chiffres sur tes jeux ?
Le premier tirage de Shabadabada était de 4 500 exemplaires. Ils ont été vendus en 8 mois environ. Et là, nous avons retiré à 6 000, c'était optimiste mais nécessaire pour des histoires de coûts. Nous en sommes maintenant à près de 7 500 exemplaires vendus et nous sommes très contents.
Sharad lui n'a été tiré qu'à 3 000 exemplaires, et ils ne sont toujours pas épuisés au bout de quatorze mois. C'est dommage mais il ne sera pas retiré.
Dindons & Dragons a été tiré à 6 000 exemplaires et a bien démarré (mais c'était Noël !). Pourvu que ça dure...
Les deux nouveaux bébés qui sortiront bientôt seront chacun tirés à 3 000 exemplaires.
A chaque fois, nous essayons de prendre notre prix de fabrication et de le multiplier par deux pour obtenir le prix de cession au distributeur. Mais nous ne comptons pas dans ce prix de fabrication les frais supplémentaires imputables à un premier tirage : outils particuliers de fabrication et illustrations. Et nous ne payons pas de maquettiste (c'est Dominique) ni de droits d'auteur (c'est moi)...
Donc, pour que tous les frais de fabrication soient payés, il nous faut vendre un peu plus de la moitié du tirage. Après, nous pouvons commencer à envisager de payer les charges sociales et tout le reste...

Pour l'instant, tu n'as édité que tes propres jeux. Verra-t-on d'autres auteurs édités chez La Haute Roche un jour ?
Non. Cela nous est interdit par l'administration. Comme je l'ai dit plus haut, je suis en profession libérale et je n'ai le droit d'éditer que mes propres jeux. Pour pouvoir éditer d'autres auteurs, il nous faudrait créer une véritable société ce dont nous n'avons nulle envie. Nous avons eu assez de problèmes pour être en règle et nous n'avons pas l'intention d¹entrer dans une nouvelle galère !

Des projets de nouveaux jeux ? Pour 2004 ?
Oui. Deux nouveaux jeux à La Haute Roche en même temps... En mars si tout va
bien. Plus de Kangourou mais un nouveau format, plus grand (mais pas trop quand même !), avec de très jolis dessins (enfin, d'après nous).
Casbah est un jeu de connexion dans lequel les joueurs construisent une maison ensemble avec des tuiles choisies en début de partie. Pas de hasard, de la réflexion et une variante casse-tête en solitaire.
Et Carambouille, un jeu bazar où tout le monde fait des échanges en même temps dans le but de devenir le plus riche à la fin malgré les coups bas des adversaires.
Nous avons longtemps hésité : collection printemps et collection automne ou les deux en même temps ? La fabrication groupée nous permettant un coût de fabrication moindre, et donc un prix de vente public plus faible, nous tentons le coup... Après tout, les jeux étant totalement différents, ils ne devraient pas se concurrencer.
Ah, et puis aussi un nouveau jeu chez Asmodée : Capharnaüm. Chacun joue un enfant qui tente de mettre le plus de fouillis dans la maison sans se faire attrapper par les parents.

As-tu déjà été présente sur des salons ? Si oui, qu'ont ils apporté à une entreprise comme la tienne ?
Si tu veux dire sur les salons professionnels en tant qu'éditeur, non. Etant donné que nous ne faisons pas nous-mêmes la distribution de nos jeux, la location d'un stand ne pourrait pas être rentabilisée.
Si tu veux dire en tant qu'auteur, pas vraiment jusqu'à présent. La campagne c'est tellement bien, et puis il faut faire garder les enfants, tout ça... Mais cette année, nous allons nous promener un petit peu. Je ne sais pas si ça nous apportera quelque chose au niveau éditeur, mais en tout cas nous pourrons certainement rencontrer des tas de gens sympathiques avec qui jouer à plein de nouveaux jeux.

2003 semble avoir été une bonne année pour le monde du jeu (entre autre en France), que penses-tu justement de ce marché ?
Je ne sais pas, je ne dispose pas d'assez d'information.
Oui, il me semble qu'il y a eu beaucoup de nouveaux jeux, ce qui est un vrai bonheur quand on est joueur et qu'on aime en découvrir. Mais le volume de vente total a-t-il augmenté ? Autrement dit, les joueurs achètent-ils plus de jeux et/ou plus de gens qui n'étaient pas joueurs découvrent-ils les jeux ? Tu devrais peut-être faire un sondage auprès des boutiques...[NDLR: l'idée est notée, on en reparle dans quelques mois].

Et la tendance actuelle te semble plutôt positive ?
Bien sûr. Plein d'auteurs, plein de petits éditeurs, plein de jeux et plein de joueurs, que demander de plus ?

Et dans cinq ans ?
J'espère que le jeu va continuer à se développer. Il semble maintenant sorti de son ghetto "pour les enfants", "perte de temps", "pas sérieux", etc. Il y a de plus en plus d¹associations, de cafés-jeux, de ludothèques... De plus en plus d'amimations et de festivals. Alors peut-être y aura-t-il de plus en plus de joueurs. Et s'il y a de plus en plus de joueurs, des jeux de tous types qui arrivent à se vendre suffisamment pour satisfaire tous les goûts.

Enfin, tu as un petit site internet pour présenter tes jeux. Quel est ton retour d'expérience là-dessus ?
En fait, nous avons deux sites.
Un site Sylvie Barc qui avait pour vocation initiale d'expliquer qui je suis et ce que j'ai fait. J'en avais marre qu'on me dise "Ben non, c'est pas toi qui as fait Elixir, y'a pas ton nom sur la boîte..." C'est vrai que changer de nom en cours de route n'est pas évident. A ce niveau là, le site a été très utile, le côté Rodriguez/Barc est passé. J'espère aussi que le site a permis aux éditeurs et aux joueurs de mettre enfin la même casquette d'auteur à tous les jeux. En tout cas, il facilite les rendez-vous avec des éditeurs à Nüremberg...
Et un site La Haute Roche qui lui a pour but de présenter les jeux édités par nous. Il s'étoffe petit à petit, selon l'humeur. Pour Shabadabada par exemple, nous avons mis de nouvelles cartes à télécharger et une version occitane, pour Casbah une solution du casse-tête. Et des dessins et bios des illustrateurs. Nous avons aussi un bon de commande à télécharger mais ça n'est pas encore un franc succès...

Penses-tu qu'Internet soit indispensable pour se faire connaître ?
Je pense qu'Internet peut aider à se faire connaître de ceux qui ont envie d'avoir des informations. Il facilite les choses mais n'est pas indispensable (enfin, pour le moment !).

Un dernier mot pour la fin ?
Je trouve très intéressante ton idée d'interroger les petits (auto)-éditeurs. J'espère qu'elle permettra aux joueurs de comprendre qu'un petit éditeur ne peut pas vendre un jeu au même prix qu'un gros, qu'il fait ça parce qu'il y croit et qu'il aime ça, même s'il espère aussi gagner sa vie avec. J'espère également que nous aurons été nombreux à te répondre. L'expérience de chacun étant différente, elle peut permettre à de futurs petits (auto)-éditeurs de se faire une idée un peu plus précise de ce qui les attend, en tout cas d'éviter de grosses erreurs comme un tirage à 50 000 sous prétexte que c'est moins cher à l'unité, l'embauche d'un dircom, d'une assistante de direction et d'un balayeur, l'assurance de racheter Hasbro dans cinq ans...

Interview réalisée par mail en janvier 2004

 

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