Pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple ?
Principale différence, les jeux à deux ont en général une règle courte et simple qui peut tenir sur une ou deux pages. La règle est le ciment qui permet d’assembler les briques d’un jeu : thème, tour de jeu, conditions de victoire, actions possibles, interactions entre les joueurs. Dans la mesure où ces briques sont simples (comme nous allons le voir plus loin), nul besoin d’une règle longue et complexe.
L’absence de thème à décrire, la simplicité des tours de jeux où les joueurs n’ont pas à choisir parmi de nombreuses actions, permettent d’éviter de nombreuses pages pour expliquer les différentes interactions possibles entre ces actions et les joueurs. Ce qui permet de disposer d’une règle vite lue (moins de dix minutes) et offre aux joueurs la possibilité de commencer rapidement leur première partie.

Théma
Un des principaux facteurs qui caractérisent un jeu, c’est son thème. Celui-ci permet à un jeu de trouver plus facilement un public. Bien que souvent artificiel et plaqué sur un mécanisme, le thème permet aux joueurs d’appréhender plus facilement un nouveau jeu. Outre-Atlantique, il a même un rôle plus fort puisqu’il influence souvent les règles directement. Mais, dans les jeux à deux il revêt une importance moindre, d’où la présence d’un grand nombre de jeux abstraits dans cette catégorie alors qu’ils sont rares pour les jeux multi-joueurs. Bien sûr, certains éditeurs thématisent même les jeux à deux (Kosmos, Ravensburger, Descartes…), car se sont souvent des jeux basés sur des cartes. Pour les autres jeux, dont le matériel est constitué d’un simple plateau et de pions, le thème devient inutile.
Le thème permet également d’expliquer plus facilement les actions possibles, qui peuvent être parfois nombreuses (ex : Puerto Rico). A deux, le nombre d’actions possibles est souvent réduit et se passe de toute justification par un thème : pose d’un pion (Go, jeux de connexions), déplacement d’une pièce (YINSH, Diam...). Un pseudo-thème peut être collé aux pièces pour expliquer leurs différents comportements : différentes pièces des échecs, ou la différenciation entre les pièces et la balle qui ne suivent pas les mêmes règles de déplacements/passes dans Diaballik.
D’ailleurs, ce nombre réduit d’actions possibles en un tour est également une caractéristique des jeux à deux.

A qui le tour ?
La notion de tour de jeu est réduite à sa plus simple expression dans la plupart des jeux à deux, et notamment les jeux abstraits. Ici, les tours se succèdent simplement, chaque joueur ayant une action simple à réaliser avant de passer la main. Dans les jeux multi-joueurs, il arrive souvent que le premier joueur change à chaque tour pour ne pas avantager un joueur par rapport à ses adversaires. Le changement peut s’effectuer dans l’ordre du placement des joueurs autour de la table, souvent dans le sens des aiguilles d’une montre. Avec seulement deux joueurs, ce principe ne peut pas être appliqué, sinon chaque joueur jouerait à chaque fois deux tours consécutifs (le tour où il est dernier, puis le tour où il est premier). Ce qui reviendrait à jouer des tours composés de deux actions.
En parlant d’actions, on constate également que leur nombre est assez réduit dans les jeux à deux. Ceci ne veut pas dire pour autant que les jeux sont plus simples, loin de là. Prenons par exemple des jeux comme ceux du Projet GIPF, une erreur de déplacement d’une pièce peut vous coûter cher. Mieux vaut alors peser le pour et le contre de chaque coup possible et savoir anticiper les prochains tours. Le nombre d’actions possibles ne conditionne donc en aucune façon la richesse et la profondeur d’un jeu.

Une fois, deux fois, trois fois…
Pour limiter le hasard, on retrouve souvent un système d’enchères dans les jeux à plusieurs. Ceci permet d’attribuer le rôle de premier joueur comme de déterminer le choix des actions (El Grande, Age of Steam), ou le gain de tuiles (O Zoo le Mio, Goa). Et pour gérer ces enchères, les jeux introduisent un système de monnaie. Cela permet en outre de donner un coût aux différentes actions (ex : choix des cartes dans Le Collier de la Reine). Enfin, la monnaie peut être utilisée comme système de points de victoire afin de déterminer un vainqueur (ex: Modern Art, Intrige).
Mais à deux, puisque l’ordre des joueurs est une simple alternance sans changement de premier joueur, et que les actions possibles sont proposées en nombre limité, il n’y a aucune raison d’introduire des enchères ou une quelconque monnaie.

Les conditions de victoire
On l’a vu l’argent peut servir dans l’évaluation de la victoire. Mais à deux, encore une fois, la détermination du vainqueur est beaucoup plus simple, puisque la règle fixe aux deux joueurs un objectif à atteindre. Le premier qui y parvient remporte instantanément la partie, sans nécessiter un quelconque décompte des points. Citons par exemple les échecs, où il faut prendre le Roi adverse, Quarto où le vainqueur est celui qui aligne quatre pièces avec une caractéristique en commun, ou encore Twixt dans lequel gagne le premier qui a connecté ses deux bords opposés avec des ponts. Même les jeux qui fixent des points de victoire, se terminent finalement quand un joueur atteint un certain seuil : douze points dans les Colons de Catane - le jeu de cartes, cinq points dans Dungeon Twister... Nul besoin alors de compter les points obtenus par l’adversaire.

Interaction avec d’autres joueurs
Autre élément important dans un jeu de société, ce sont les joueurs, tout simplement. En fonction de qui est assis autour de la table, un même jeu ne connaîtra pas forcément la même ambiance et des parties n’auront pas toujours la même issue. L’inconvénient de jouer à plusieurs est qu’un joueur un peu faible peut avantager certains et ruiner les chances de victoire d’autres sans même s’en rendre compte. Les joueurs peuvent également s’influencer les uns, les autres, voire même entreprendre des négociations. Tout ceci agit sur le jeu et lui confère une partie incontrôlable qu’on ne retrouve pas dans les jeux à deux. Les joueurs sont alors seuls face à leur adversaire, et c’est leur faculté d’anticipation et leurs décisions stratégiques et tactiques qui feront la différence et les mèneront à la victoire. Pour les jeux abstraits dépourvus de hasard, en tout cas.
Les jeux de coopération sont rares (Le Seigneur des Anneaux, Les Chevaliers de la Table Ronde), mais ils requièrent de nombreux joueurs autour de la table pour tourner au mieux. L’essence de ces jeux étant l’interaction entre les joueurs, il est difficile de leur trouver un équivalent dans les jeux à deux (même s’il est possible de jouer à deux au Seigneur des Anneaux).
Les autres jeux de coopération sont à destination des plus jeunes (Le Verger). On ne trouve d’ailleurs pas de jeux à deux pour cette tranche d’âge, car les petits ne comprendraient pas le principe de s’opposer à un adversaire. En effet, cela demande à l’enfant de prêter attention à ce que joue son adversaire et d’être doté d’un esprit d’analyse pour déterminer ce qu’il doit jouer à son tour. Les premiers jeux à deux qui leur seront proposés seront relativement simples comme le morpion, ou un peu plus tard le Puissance 4. Cette capacité d’analyse se développant vers l’âge de raison, c’est seulement à partir de cet age-là que les premiers jeux à deux sont proposés.

Bon, mais alors, que reste-t-il aux jeux à deux ?
Décidément, après une telle épuration, on peut se demander s’il reste quelques spécificités aux jeux à deux. La réponse est bien sûr affirmative. On va retrouver par exemple des jeux dits « asymétriques », car les deux joueurs ne commencent pas le jeu dans des conditions identiques et n’ont pas le même but à atteindre. Dans Hyle7 par exemple un joueur représente l’Ordre et doit créer le maximum d’algorithmes (alternance symétrique de pions de couleurs), alors que son adversaire, le Chaos, doit l’en empêcher. Moins prise de tête, mais très riche au niveau de la stratégie, on retrouve Le Seigneur des Anneaux - La confrontation, dans lequel les joueurs, en plus d’avoir des objectifs de victoire différents, disposent de pions aux pouvoirs uniques.
Le blocage de l’adversaire est une condition de victoire qu’on ne retrouve que dans les jeux à deux (ex : TAMSK, Quads). Blokus est un jeu multi-joueurs qui repose certes sur le blocage, mais l’estimation de la victoire ne se fait pas sur celui qui est le dernier à poser ses pièces, mais par un décompte de points en fonction des pièces non jouées. Même si cela revient à peu près au même, la condition de victoire reste basée sur un simple calcul de points.

On peut donc en conclure...
Simplicité des règles est le maître mot des jeux à deux, à quelques exceptions près bien sûr (Dungeon Twister, Les Colons de Catane - Le jeu de cartes). Celle-ci est en effet la garante de parties courtes et libèrent l’esprit des soucis du détail pour laisser les joueurs se concentrer sur l’essentiel : le jeu.
Si les jeux à plusieurs ont pour atout la joie des interactions et des négociations, bref, le contact et la communication avec d’autres joueurs, les jeux à deux ont pour eux l’avantage de la profondeur de leurs stratégies. C’est en tout cas vrai pour les jeux abstraits. Mais le public recherche également des jeux plus légers pouvant être joués en dilettante, par exemple pendant l’apéro le soir. C’est pour cette clientèle là que Kosmos (Tilsit pour les VF), Descartes et Ravensburger ont lancé une collection complète. Mais les jeux à deux ne se résument pas à une catégorie abstraite et « prise de tête », et une autre, légère et « simpliste ». C’est ce que nous allons voir dans la deuxième partie de ce dossier.

Ce dossier est d'abord paru dans le numéro 25 (mars 2006) du magazine Jeux sur un Plateau.